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toggle navigation works texte bio/contact s’il est une donnée qui domine l’œuvre de guillaume gouilly frossard, c’est bien celle de la personne : son absence et sa destruction dans le monde contemporain, sa vérité comme lieu toujours espéré de la liberté et de l’esprit, comme ec-sistence ; la personne comme intériorité qui a besoin d’une extériorité. il s’agit bien ici de la personne et non pas de l’individu. la personne se trouve et découvre à travers l’autre, suppose une rencontre, est un je qui dit nous. l’individu, lui, veut être libre sans l’autre, voire contre lui, là où la personne est libre pour l’autre et avec lui. la personne est un mouvement vers, une surabondance ; elle n’est pas simplement l’être, elle est visée de l’être et projet créateur. « l’aspiration transcendante de la personne n’est pas une agitation, mais la négation de soi comme monde clos, suffisant, isolé sur son propre jaillissement. » (1) mais notre société occidentale, principalement, est défigurée par l’effacement de la personne ; et l’œuvre de g. gouilly frossard exprime ce drame d’une impossible rencontre et des êtres qui se croisent sans jamais se rencontrer. volumen 2003 dit cet espace et ce non-lieu de la rencontre. le mouvement n’est pas là celui de l’un vers l’autre, mais celui de l’un à côté de l’autre, celui d’une course effrénée vers rien, dans l’agitation mécanique d’un monde glacé, d’un collectif individualiste. une critique d’ordre social, au sens fort de ce mot, surgit ici. on pense inévitablement alors au ballet de jérôme robbins sur une musique de philip glass (2) où les danseurs marchent la tête droite, le regard fixe, dans un mouvement à la fois glissant et saccadé, sans jamais se voir ni rencontrer. c’est une héroïne de simone de beauvoir, qui traduit bien cette impression équivoque où la foule peut aussi bien dire la fraternité et la solidarité, que la solitude et l’abandon : « a certains moments, il semblait à françoise que ces vies étaient venues s’entrecroiser exprès pour elle en ce point de l’espace et du temps où elle se tenait, à d’autres instants, ce n’était plus ça du tout. les gens étaient éparpillés chacun pour soi. » (3) bibliothèque personnelle 2001 ? « personnelle », assurément, mais précisément parce que le livre n’est pas qu’un objet, il est un sujet, une rencontre de l’auteur avec des lecteurs ; et ces derniers, à leur tour, sont excès ou dépassement, ceux de l’imaginaire, de tous les ouvrages lus et à lire, d’une totalité que les mailles du filet ne sauraient ni retenir ni contenir. s’échapper, c’est la positivité d’un avenir, d’un à-venir, d’une liberté mouvante opposée aux fixités de l’indépendance où l’on voudrait se suffire à soi-même. la boule de papier de la bibliothèque personnelle 2001, quand elle figure métaphoriquement notre imaginaire, suggère alors l’idée des éclosions possibles, d’un devenir où l’espace et le temps sont promis à des dépassements. l’espace et le temps conjuguent le visuel et les sons, et c’est bien cela, également ou parallèlement, que les basses de piccola canzone 2002 matérialisent en exprimant, par leur enveloppement, un environnement pré-natal. entre les dialogues 2001 et piccola canzone 2002 sont, à leur manière, un à la recherche des paroles et des dialogues perdus, mais tout, chez guillaume gouilly frossard est, comme on le verra, pris, englué, ou sauvé, libéré dans et par la mémoire et le temps. souveraine fascination de l’oubli et du souvenir ! que la personne nous échappe, ne puisse jamais devenir notre chose, qu’elle soit davantage à découvrir dans le vide des appels vers des plénitudes toujours réouvertes, c’est là une vérité éminemment positive. que les personnes ne puissent jamais être maîtrisées, parce que les comprendre serait les dominer, voilà encore une réalité qui nous renvoie à la complexité proprement et heureusement humaine, comme le signale l’enchevêtrement des films de poznan 2000 ; mais l’œuvre de g. gouilly frossard, par la prégnance des blancs, des transparences et des vides, dit surtout, avec ses volumes, le tragique de la disparition, de la destruction de la personne, du néant et de la mort. c’est bien de cela qu’il est question aussi avec (on aimerait écrire dans) hannah 2002 ; l’artiste représente ici le texte à travers une trace d’incision, une cicatrice, la peau inexorablement morte du papier-parchemin. le néant, comme l’espace ou la foule, est à la fois l’appel à une présence ou la disparition de la personne. cette ambivalence traverse, littéralement, tous ces espaces, tous ces volumes. les chemises de poznan 2000, autrefois portées et presque vivantes par le corps chaud qui les habitait et les initiales qui y restent brodées, mais aujourd’hui dépersonnalisées, ont la blancheur d’un linceul ; et les entrailles éparpillées qui s’en échappent ont la noirceur de la mort. les portraits « sans titre » dessinés par g. gouilly frossard participent de cette même ambiguïté où l’évanescence, plus que le plein des formes, semble désignée ici, comme si les contours et le trait n’étaient là que pour cerner une absence, un corps-momie. les choses indifférentes nous nient dans leur présence muette, étrangère. c’est l’absurde, un divorce entre le monde et nous, entre notre existence et notre négation. avec g. gouilly frossard, une protestation est à l’œuvre ; elle résonne après 39-45 et les centres de mise à mort. la fragilité de l’être humain, si peu humain, son écrasement et sa petitesse, son impossible présence et affirmation de soi, tout cela dans un monde sans dieu, monde dont le seul rayonnement nous aveugle ou condamne à la cécité, c’est peut-être bien une version protestante d’un homme impuissant et douloureusement conscient de ses limites. le théologien paul tillich, voyait dans le guernica de picasso une peinture protestante par son refus des humanismes illusoires.(4) il y a de cela dans l’œuvre de g. gouilly frossard. bibliothèque 1998 nous parle aussi d’un sauvetage impossible, d’une perte irrémédiable dans l’immensité des effacements et les océans de l’oubli. bien sûr, le propre de ces installations, dans notre collaboration sollicitée, est d’éclore à une dimension interpersonnelle. nous participons de cette entreprise créatrice, nous sommes attendus, espérés. le spectateur devient acteur. nous sommes tous invités dans le geste de nos approches à susciter ou re-susciter cette personne que la civilisation voudrait nier. un sursaut est possible, humble et il s’agit là de se baisser (poznan 2000, bibliothèque 1998), ou exigeant dans l’effort et il s’agit là de se hausser sur la pointe des pieds (entre les dialogues 2001). je peux lire la lettre (hannah 2002), ou le livre (bibliothèque personnelle 2001), ou une simple phrase (bibliothèque 1998) ; ici ou là ou ailleurs, je peux éclore, renaître à moi-même, et cela dans l’interaction avec l’œuvre d’art, dans ce dynamisme vivant pour dépasser les apparences, l’extériorité. l’œuvre est un don partagé, une invitation généreuse, un plus. elle n’est pas désespérée. il ne s’agit pas tant alors de voir ce qui est que ce qui peut être. le voulons-nous ? l’ordre des choses n’est pas ici celui des sécurités immobiles, mais la rupture des passivités et des regards fuyants. j’adviens grâce toi, pouvons-nous déclarer. les portraits, sans nom ni titre, sont, dans l’œuvre de g. gouilly frossard, de la plus haute importance. ils représentent chacune et chacun, la femme et l’homme ; la féminité y est accompagnée par une certaine masculinité des personnes ; on accède là à l’être humain, quel qu’il soit. d’aucuns penseront peut-être qu’il s’agit, une fois encore, par la blancheur et les transparences, par les traits filiformes, de suggérer la disparition et l’absence, comme c’était le cas de poznan 2000. mais l’absence, dans ces portraits, est aussi celle du corps en tant que tel. et cela pour aller vers l’intériorité, vers la pensée et l’esprit. la tête prime alors ici sur le reste du corps « l’œil vibre, le trait est une veine qui bat. » (dessins